XIII
UN MARIN D’OPÉRETTE

Le lieutenant de vaisseau Wolfe se courba sous les barrots et fit une entrée bruyante dans la chambre. Il attendit que Bolitho et Herrick eussent terminé quelques calculs sur la carte et annonça :

— Signal du Rapide, retransmis par la Phalarope : « Bateau français capturé. Pas d’alerte. »

Bolitho jeta un coup d’œil à Herrick.

— Voilà du bon travail. Ce brick porte bien son nom – et à Wolfe : Signalez au Rapide d’envoyer sa prise à l’amiral. Moins il y aura d’yeux indiscrets pour la voir et mieux ce sera. Et félicitez le commandant Lapish.

Herrick se frottait le menton, l’air dubitatif.

— L’alerte n’a pas été donnée, hein ? Lapish a dû tirer parti du mauvais temps d’hier, sacré petit filou.

— J’espère bien, répondit Bolitho d’un air détaché en se penchant une fois de plus sur la carte.

Il était inutile de raconter à Herrick à quel point les ordres qu’il avait donnés au Rapide l’avaient empêché de dormir. Un seul homme mort en pure perte était toujours un mort de trop. Ce sentiment le touchait encore plus depuis que le Styx s’était perdu et que Neale était mort avec tant de ses hommes. Bolitho se tourna vers Herrick, cette bonne tête. Non, décidément, il ne fallait pas le troubler davantage.

Il laissa glisser son doigt tout au long du grand triangle tracé sur la carte, qui partait de Belle-Ile au sudet et jusqu’à l’île d’Yeu, puis bifurquait vers le large en direction d’un point environ quarante milles dans l’ouest. Ses trois frégates patrouillaient le long du côté imaginaire qui longeait la côte, tandis que les vaisseaux de ligne devaient endurer les risques d’eaux non protégées d’où ils pouvaient attaquer si les Français tentaient de forcer le passage.

Et au milieu de tous ces bâtiments, ce petit Rapide remplissait le rôle d’espion et de messager. Lapish avait dû fort apprécier ce raid couronné de succès, si bref eût-il été. L’action chasse vite les idées noires et ses hommes devaient bien rire de leurs camarades qui servaient à bord de leurs lourdes conserves.

— Les Français sont sans doute prêts à se mettre en mouvement, dit-il enfui. Il faut que nous sachions ce qui se passe près de la côte – il leva les yeux comme Browne entrait. Le pêcheur qu’ils ont capturé va arriver. Je veux que vous montiez à son bord et procédiez à une enquête approfondie.

— Je peux envoyer Mr. Wolfe, fit Herrick.

— Non, répondit Bolitho en souriant, il me faut quelque chose d’autre qu’un marin accompli, Thomas. Je crois Mr. Browne capable de voir des choses que les autres ne voient pas.

— Humm… dit Herrick en regardant la carte. Pourtant, je me demande… Bon, je crois que cela vaudrait la peine d’essayer.

— Puis-je faire une suggestion, amiral ? demanda tranquillement Browne.

— Naturellement.

Browne s’approcha de la table. Il avait vaincu le mal de mer, et même la tempête qui était tombée sur l’escadre au cours de la nuit ne lui avait pas fait le moindre effet.

— J’ai entendu dire que ces pêcheurs se rassemblaient depuis des semaines. C’est une chose assez commune qui leur permet de travailler sous la protection de leurs garde-côtes. Si le commandant du Rapide est certain que personne n’a vu ses hommes s’emparer de l’un des bateaux, une petite équipe de prise pourrait sans peine retourner près de terre et aller voir ce qui s’y passe.

Herrick poussa un profond soupir.

— Mais naturellement, mon garçon ! C’est précisément ce que nous avions l’intention de faire ! Je pensais que vous alliez nous proposer quelque chose de plus original !

Browne lui fit un sourire :

— Sauf votre respect, commandant, je voulais dire que nous pourrions ramener ce bateau au milieu des autres, au moins pendant un certain temps.

— Il est fou, fit Herrick en branlant du chef, complètement fou. Il ne faudrait pas une heure pour qu’on les prenne pour ce qu’ils sont.

Mais Browne insistait :

— Si quelqu’un à bord parle parfaitement le français…

Herrick se tourna vers Bolitho, l’air accablé.

— Et combien avons-nous donc d’étudiants en français, amiral ?

Browne toussota :

— Moi-même, commandant, pour commencer, et j’ai découvert que MM. les aspirants Stirling et Gaisford le parlent passablement.

— Décidément, coupa Herrick en le regardant, je veux bien être damné deux fois !

— Avons-nous le choix ? demanda lentement Bolitho.

— Non, amiral, lui répondit Herrick avec un haussement d’épaules.

Bolitho se pencha sur la carte, alors qu’il avait déjà dans la tête chaque sonde, le moindre récif, toutes les distances.

C’était jouable, comme souvent les choses impensables. S’il échouait, Browne se ferait prendre avec ses hommes. Et s’ils portaient des déguisements au moment de leur capture, une mort certaine les attendait. Il songea aux petites tombes, sous le mur de la prison, aux traces de balles là où les suppliciés avaient été fusillés.

Browne le voyait hésiter. Il finit par déclarer :

— J’aimerais essayer, amiral. Cela nous serait utile, de toute façon. Pour le commandant Neale.

De l’autre côté de la porte, autant dire dans un autre monde, le fusilier de faction aboya :

— Aspirant de quart, amiral !

L’aspirant Haines s’approcha de ses supérieurs en marchant sur des œufs et annonça dans un souffle :

— Le second vous présente ses respects, amiral, la prise française en vue dans le nordet.

— Est-ce bien tout, monsieur Haines ? lui demanda Herrick en le toisant.

— N… non, commandant. Mr. Wolfe m’a demandé de vous dire qu’il y a des soldats français à bord.

Sans le faire exprès, le garçon avait gardé le plus important pour la fin.

— Merci, monsieur Haines, lui dit Bolitho. Mes compliments au second, demandez-lui de me faire prévenir lorsqu’il sera proche.

Tout devenait limpide. Il se souvint de ces soldats français qu’il avait aperçus à bord d’autres bâtiments de pêche, en ce terrible matin pendant lequel le Styx avait coulé. Peut-être les garnisons côtières réservaient-elles toujours quelques hommes pour ce genre de tâche. On savait que pêcheurs et contrebandiers des deux bords se retrouvaient au large pour échanger nouvelles et marchandises. Le contre-amiral Remond n’avait certainement pas envie de voir son escadre trahie par quelque bavardage inconsidéré.

Les soldats ennemis. Il imaginait fort bien Browne dans l’un de ces uniformes. Lorsqu’il se tourna vers le lieutenant de vaisseau, il vit exactement ce à quoi il pensait.

— Très bien, fouillez le bateau et rendez-moi compte. Ensuite… – ses yeux se reportèrent sur la carte – … je déciderai.

— Vous connaissez les risques ? fit Herrick.

— Oui, commandant, lui répondit Browne.

— Et vous voulez tout de même y aller ?

— Oui, commandant.

Herrick leva les bras au ciel :

— C’est bien ce que je pensais, il est complètement fou.

Bolitho les regardait tour à tour, si différents l’un de l’autre et pourtant également chers à son cœur.

Il se leva :

— Je vais marcher là-haut, Thomas, cela m’aide à réfléchir.

— Je veillerai à ce que l’on ne vous dérange pas, amiral.

Peu après, Bolitho arpentait la dunette en essayant de se mettre à la place de Remond. Il ne l’avait rencontré qu’une seule fois, et brièvement, mais cela faisait une différence : à présent, l’ennemi avait un visage, une personnalité. Après tout, mieux eût-il peut-être valu qu’il restât anonyme ?

Il faisait presque nuit lorsque le bateau de pêche parvint enfin sous le vent du Benbow. Browne était monté à son bord pour l’inspecter.

Passavants et enfléchures étaient remplis de marins curieux. Bolitho, un peu à l’écart, n’observait pas le nouvel arrivant avec moins d’intérêt que les autres. Un bateau crasseux, à bout de bord, des voiles rapiécées, le pont couvert de détritus, à peine plus gros que la chaloupe du Benbow. Il faisait piètre figure et ne pouvait susciter que le dégoût chez tout bosco digne de ce nom. Browne, dans son uniforme bleu et blanc, offrait un contraste saisissant avec la saleté de cette baille.

Le canot revint avec un jeune enseigne dont Bolitho devina qu’il avait mené ce raid. Il escalada la muraille du Benbow, salua le pavillon et Bolitho s’aperçut alors qu’il était très jeune, dix-neuf ans tout au plus.

Wolfe s’apprêtait à le conduire à l’arrière chez le commandant, mais Bolitho cria d’une voix pleine d’autorité :

— Venez voir ici !

Si jeune et impressionné fût-il par l’atmosphère du bâtiment amiral, l’enseigne fit preuve malgré tout d’un certain panache en se hâtant vers la dunette. On sentait le vainqueur.

Il salua :

— Enseigne de vaisseau Peter Searle, amiral, du brick Le Rapide.

— C’est vous qui avez fait cette prise, si je comprends bien, monsieur Searle ?

L’enseigne se retourna pour regarder l’ignoble barcasse de pêche. On eût dit que c’était la première fois qu’il la voyait pour ce qu’elle était.

— Il était mouillé à l’écart des autres, amiral. J’ai mis deux de mes hommes à l’eau, de bons nageurs, et je les ai envoyés couper son câble pour le faire dériver jusqu’à moi. Le vent soufflait presque en tempête à ce moment-là et mon canot embarquait dangereusement.

Il souriait en se remémorant ce moment, ses rides de fatigue s’estompaient.

— Je savais bien que nous n’avions pas le choix : ou bien nous le prenions à l’instant, ou il nous fallait regagner Le Rapide à la nage !

— Avez-vous dû vous battre ?

— Il y avait quatre soldats à bord, amiral. On ne m’avait pas parlé d’eux. Ils ont tué ce pauvre Miller et assommé Thompson avant que nous ayons eu le temps d’arriver. L’affaire a été rondement menée.

— Je suis fier de vous, lui dit Bolitho.

C’était étrange, ce malheureux Miller devenait soudain un être en chair et en os, alors qu’il ne l’avait jamais vu de sa vie.

— Et personne n’a donné l’alerte ?

— Non, amiral, j’en suis certain. J’ai jeté les cadavres par-dessus bord dans l’obscurité après les avoir lestés. Ils ne remonteront jamais raconter ce qui leur est arrivé.

— Je vous remercie, monsieur Searle.

— On m’a dit, reprit l’enseigne en hésitant un peu, que vous aviez l’intention d’user de ce bateau contre l’ennemi, amiral. J’aimerais me porter volontaire.

— Qui vous a raconté cela ?

— Je… j’ai oublié, répondit l’enseigne en rougissant sous le regard perçant de Bolitho.

— Peu importe, répondit Bolitho en souriant, je crois que je devine. Je suis heureux de vous confier le commandement de cette prise, vous êtes visiblement un homme plein de ressource. Avec cela et cette habitude étonnante qu’a mon aide de camp d’avoir toujours raison, je pense que votre concours nous sera précieux.

Ils se retournèrent tous deux lorsque Herrick arriva sur le pont, et Bolitho ajouta :

— Nous commencerons cette nuit. Dites au major Clinton qu’il me faut quatre de ses tireurs d’élite pour accompagner l’équipage de prise, plus un bon pilote. Et veillez à ce que Mr. Grubb nous confie sa meilleure recrue au lieu de refiler celui qui lui fera le moins défaut.

Herrick fit mine de protester, mais se ravisa.

Bolitho se retourna vers l’enseigne :

— Je vais vous donner vos ordres, mais il vous faut savoir que, si vous êtes capturé, vous avez peu de chances de vous en tirer.

— Je comprends, amiral – il souriait de toutes ses dents. Tous mes hommes sont volontaires.

Bolitho examina le bateau de pêche. A présent, il comprenait. Il s’était inquiété de risquer des vies, mais ce jeune homme lui vouait une grande reconnaissance : car la chance, cette rare et si précieuse occasion que chaque officier recherchait, était peut-être à deux doigts. Et dire que j’étais exactement comme lui.

— Transbordez les prisonniers et emmenez quelques-uns de nos hommes à bord pour aider Mr. Browne.

Il voyait le crépuscule tomber, les dernières lueurs s’accrochaient encore aux vergues hautes du Nicator.

— Mon Dieu, Thomas, je suis las d’attendre que l’ennemi veuille bien se démasquer. Il est grand temps que nous l’asticotions un peu !

Il aperçut Allday sur le passavant bâbord. Lui aussi observait le bâtiment de pêche, on le sentait à sa solide carcasse toute raidie. Au moins, se dit Bolitho, Allday resterait à l’écart de cette aventure téméraire.

Il attendit sur le pont qu’on eût fini de transférer la poignée de prisonniers, en tête desquels venaient les soldats français. Ils étaient suivis par l’un des fusiliers de Clinton qui portait un uniforme ensanglanté sur son bras, l’air assez dégoûté.

Quand il fit enfin presque totalement nuit et que les vaisseaux eurent pris un ris pour la nuit, Browne revint à bord.

— Cette baille pue comme une porcherie, amiral ! Et son équipage ne vaut pas mieux !

— Avez-vous découvert quelque chose ?

Browne hocha la tête :

— Il n’est pas d’ici, il vient de Brest. Nous avons eu de la chance. J’ai réussi à convaincre son patron qu’il serait libéré plus tard, à condition qu’il nous dise la vérité. A vrai dire, je lui ai promis qu’il terminerait au bout de la grand-vergue dans le cas contraire. Il m’a assuré qu’il y avait ici une grosse escadre française et il croit qu’elle est sous commandement local, dans le seul but de veiller sur la flottille de débarquement. A l’entendre, c’est le contre-amiral Remond qui assure le commandement.

— Oui. Avez-vous toujours l’intention de mener cette mission, Oliver ? Nous sommes entre nous, parlez librement. Vous me connaissez suffisamment pour savoir que je ne vous blâmerai pas si vous changez d’avis.

— Je veux y aller, amiral, maintenant plus que jamais, pour des raisons bien précises. Peut-être à cause de Remond, à cause du Styx, pour vous apporter une aide efficace au lieu de me contenter de vous remettre vos dépêches et de rédiger des signaux.

— Merci, Oliver, fit Bolitho en lui prenant le bras. A présent, allez vous préparer.

Herrick vint le rejoindre comme Browne s’éloignait.

— C’est un marin d’opérette, amiral.

Bolitho se tourna vers son ami, surpris et ému à la fois que Herrick montrât tant d’inquiétude, lui qui jusque-là avait pris soin de la dissimuler.

— C’est possible, Thomas. Mais il fait montre d’un réel courage, il a besoin d’en faire usage.

Herrick fronça le sourcil en voyant Wolfe traverser le pont, un papier à la main.

— Bon sang, voilà encore une liste de problèmes à résoudre !

Bolitho se mit à sourire et descendit à l’arrière. Sans avoir l’air d’y donner de l’importance, il fit :

— J’ai un signal à faire passer à la Phalarope. Je descends le rédiger pour qu’on le hisse aux premières lueurs.

Wolfe attendait là, impassible comme toujours.

— Des ennuis, commandant ?

— Je n’en suis pas sûr.

Herrick ne pouvait dissimuler ses doutes.

— Donnez-moi de la canonnade et de la fureur, monsieur Wolfe, ça, je comprends. Mais jouer au chat et à la souris, ce n’est décidément pas mon genre !

Wolfe se mit à rire.

— Et maintenant, c’est à propos de cette liste d’avancement, commandant…

 

Ses voiles rapiécées bien gonflées par le vent, le petit bateau de pêche taillait sa route dans une mer courte, le plat-bord dans l’eau.

L’enseigne de vaisseau Searle qui, comme la plupart de ses hommes, portait un sarrau de pêcheur et de grosses bottes, ordonna sèchement :

— Serrez mieux le vent !

A côté de lui, près de la barre, Browne essayait de rester debout tandis que sous ses pieds le bateau plongeait et remontait. Dans sa tunique de soldat, avec son baudrier blanc, il ne pouvait faire plus pour garder un minimum de dignité et rester concentré sur les dangers dont ils se rapprochaient.

L’aube était presque là, mais la journée s’annonçait nuageuse et la mer semblait plus mauvaise que vue de la dunette haut perchée du Benbow.

Ils avaient travaillé toute la nuit à rendre le bateau aussi confortable que possible et avaient passé par-dessus bord le plus gros des apparaux de pêche. Mais la puanteur était toujours là, et Browne trouvait un peu de réconfort en songeant qu’il était sur le pont au lieu de croupir dans la cale avec le reste de l’équipage.

Le pilote, qui avait pris la barre, annonça :

— Côtes ennemies droit devant, monsieur.

— Merci, monsieur Hoblin, répondit Browne en respirant un grand coup.

Il fallait qu’il le prît au mot car, comme le lui avait dit Grubb, le maître pilote, avant leur départ : « Mr. Hoblin, il sent tout, monsieur. »

Searle montra les dents en se faisant doucher par une pluie d’embruns passée par-dessus la bordée et qui le laissa trempé de la tête aux pieds.

— Je doute fort, fit-il en parlant péniblement, que les Français aient un garde-côte dehors aussi tôt le matin. Ils ne doivent pas avoir trop envie de se faire rincer !

L’aspirant Stirling avait l’air d’un pirate avec son sarrau et son bonnet de laine rouge. Il demanda :

— Jusqu’où nous rapprocherons-nous, monsieur ?

— Aussi près que nous l’oserons.

— Le vent reste stable, reprit Searle, du nordet. Si nous arrivons à nous glisser au milieu des autres, nous serons en sûreté. Lorsqu’ils vous verront, ils ne seront guère d’humeur à causer – il lui fit un grand sourire. Les pêcheurs du monde entier n’aiment guère les uniformes. Les douaniers, la marine de guerre, même le plus honnête soldat, ce sont tous leurs ennemis.

Un marin qui veillait à l’avant annonça d’une voix rauque :

— Deux bateaux en vue, juste à tribord !

— Ce sont des pêcheurs, compléta Hoblin. Ils sont en route eux aussi.

Les marins se précipitèrent aux drisses, mais Browne les calma :

— Doucement, vous autres, nous ne sommes pas sur un vaisseau du roi ! Prenez votre temps !

Ils se mirent à rire et à se taper sur l’épaule comme s’il s’agissait d’une bonne blague.

— Virez de bord, ordonna Searle, mais arrangez-vous pour rester au vent de ces deux-là.

Il se baissa tandis que les voiles faseyaient avant de se gonfler à la nouvelle amure.

— Belle-Ile doit être dans le nord à nous, à présent.

Le pilote acquiesça en se penchant sur le compas.

— Je dirais : pas plus de deux milles, lieutenant.

Personne ne se hasardait à mettre en doute son opinion, et il en était vaguement heureux. Après tout, il était le plus vieux du bord d’au moins dix ans.

— Zut, voilà la pluie.

Browne hocha la tête en prenant un air désespéré et essaya de serrer son uniforme trop étroit autour de son cou. L’odeur de sueur rance que lui avait léguée son précédent propriétaire était presque pire que celle du poisson.

De grosses gouttes de pluie commencèrent à tomber, de manière sporadique d’abord puis plus dense, au point de marteler la surface de l’eau comme des barres de métal et de matraquer sans merci le bateau et ses occupants.

— Je ne me plaindrai plus jamais de manger du poisson, grommela Browne ! Ceux qui le pèchent n’ont pas volé le premier de leurs pennies !

Doucement, comme à contrecœur, la lueur faiblarde du jour commença à percer à travers les nuages et la pluie qui tombait dru. D’autres silhouettes se précisaient, des bateaux de pêche. Au fur et à mesure qu’ils se reconnaissaient, ils prenaient leur formation pour se mettre au travail.

— Venez plein est, ordonna Searle, et restez comme ça – et, à l’intention de Browne : Cela nous donnera l’avantage du vent. Cela nous rapprochera également de terre… – ses yeux cherchaient à distinguer Browne à travers le rideau de pluie – … et pas loin de l’endroit où le Ganymede vous a retrouvé.

— Oui, je vois.

Browne essuya les gouttes qui lui coulaient dans les yeux. Il n’arrivait pas encore à en parler, excepté à Bolitho. C’était quelque chose de terrible et pourtant de très particulier entre eux. Il leva les yeux vers le grand mât dont les manœuvres usées semblaient presque aussi vieilles que le monde.

— Envie de monter faire une petite grimpette, monsieur Stirling ?

L’aspirant serra sa ceinture.

— Bien, monsieur. Et que dois-je faire ?

Searle se pencha et tapa sur l’épaule de Browne :

— Bonne idée. Montez donc là-haut, mon garçon et faites semblant de vous livrer à quelque réparation. Prenez une paumelle et une alêne, même si je doute fort que les Français possèdent des lunettes.

Stirling commença à grimper dans les haubans comme un singe et donna bientôt toutes les apparences d’un homme complètement absorbé par ses travaux.

Le caporal Coote, l’un des quatre fusiliers qui devaient endurer la puanteur et les mouvements violents de la cale, passa la tête au-dessus du panneau en regardant les deux officiers d’un air plein d’espoir.

— Eh bien, caporal ? lui demanda Browne.

— Nous venons de trouver du vin et une vieille boîte là en bas, monsieur – sa figure respirait l’innocence la plus totale. Quand on fait ce genre de boulot, nos officiers ont accoutumé de nous laisser nous humecter le gosier lorsqu’on trouve de quoi le faire.

— Je crois que je suis d’accord, acquiesça Browne.

Le pilote explosa comme une charge de mitraille :

— Et quel effet ça vous fait de mentir aussi effrontément, Coote ? Je vois assez bien ce que vous mijotez !

Le caporal s’éclipsa doucement tandis que Hoblin murmurait :

— Sacrés fusiliers ! J’vous d’mande pardon, messieurs, mais ils seraient capables d’arracher sa jambe de bois à un estropié pour se faire du feu !

Browne se tourna vers Searle en riant :

— Je me boirais bien un petit quelque chose !

Searle se détourna : Browne était certes son supérieur, mais il ne connaissait pas les us et coutumes de l’entrepont ni des casernes, dans ce cas précis. Il fit jouer son sabre sur sa hanche. Leur mission risquait fort de tourner court s’ils arrivaient au milieu de l’ennemi avec un équipage à moitié ivre.

— Lofez d’un rhumb, ordonna-t-il en s’essuyant la figure d’un revers de manche. Et que tout le monde fasse bonne veille.

Il y avait là une trentaine de bateaux de pêche, pour autant que Browne pouvait les compter. En utilisant judicieusement la barre et le vent, le pilote réussit à conduire le sien à l’écart des autres, tandis que sur le pont encombré les marins s’activaient aux palans et manipulaient les flotteurs comme s’ils avaient été pêcheurs toute leur vie.

— Je ne vois pas de soldats, en tout cas, pas sur le pont – Searle claqua des mains. Si au moins j’osais me servir de ma lunette !

Au-dessus du pont, secoué en haut de son perchoir qui vibrait, l’aspirant Stirling observait les autres bateaux, les jambes pendantes sous la pluie. Comme la plupart des aspirants de quatorze ans, Stirling était insensible au vertige. Le grand mât de ce bateau de pêche était à peine un piquet à côté des mâts de hune impressionnants du Benbow. C’était comme le jour où le commodore l’avait laissé prendre le sabre de Bolitho. Même si ses camarades de poste n’avaient pas cru un mot de ce qu’il racontait, c’était encore l’une des choses les plus importantes qui lui fussent arrivées au cours de sa brève existence.

Il regardait la pluie qui tombait devant le bateau le plus proche, à environ une encablure sur tribord, tout en continuant à faire semblant de recoudre sa voile. Il avait en effet laissé tomber son alêne peu de temps après être arrivé dans les hauts.

En dessous de lui, le bateau fit une bonne embardée en enfournant dans un creux et il entendit une poulie grincer en même temps qu’il était projeté sur son mât comme un vulgaire sac.

Ils étaient là, un peu luisants dans la lumière grisâtre, les mâts et les gréements brillaient sous la pluie battante. Il cria :

— Par bâbord avant, commandant ! Cinq, non, six vaisseaux de ligne ! – l’excitation le rendait presque confus. Ils sont tous au mouillage !

Sur le pont, les officiers et Hoblin échangeaient des regards pleins d’interrogations. Le pilote finit par dire :

— Z’étaient point là voici deux jours, monsieur ! Z’ont dû s’échapper de Lorient. Sinon, on les aurait vus.

Browne leva la tête vers la silhouette qui se balançait là-haut :

— Rien d’autre ?

— Je ne peux pas vous dire, monsieur. J’ai l’impression qu’il pleut de plus en plus ! Mais je vois aussi de petits bâtiments à l’ancre. Je… j’en suis sûr !

Browne se tourna vers Searle en s’exclamant :

— C’est l’escadre volante de Remond, ce doit être elle ! – il donna une tape sur le bras de son nouvel ami. C’est étrange, nous sommes venus pour essayer de découvrir quelque chose mais, maintenant que nous l’avons trouvé, c’est encore presque mieux !

— Oui, quoi ?

Browne essayait de voir quelque chose dans les embruns. Stirling avait une bonne vue, songeait-t-il. Pour ce qu’il arrivait à voir, il ne trouvait guère que des rangées de crêtes blanchâtres et l’image brouillée de la terre dans le lointain.

— Nous devons retrouver l’escadre. Les Français sont sortis et l’amiral Bolitho doit le savoir sans tarder.

— Ne bougez pas, monsieur !

Un marin lui montrait de son pouce plein de goudron les autres bateaux. L’un d’eux, qu’ils n’avaient pas remarqué plus tôt, était en route de collision et, comme la pluie se calmait, Browne aperçut deux uniformes. Pis encore, il vit un pierrier monté au-dessus de l’étrave.

— Faites passer la consigne, ordonna Searle d’une voix rauque : ne pas faire attention !

Browne sentit immédiatement le changement. Même Stirling avait passé un bras autour du mât, comme pour essayer de se protéger.

— Abattez de deux quarts !

— Ça ne sert à rien, murmura Hoblin, ce salopard nous a vus.

— Par l’enfer ! fit Searle en regardant Browne. Que voulez-vous que je fasse ?

Browne observait le bateau. Deux autres uniformes avaient fait leur apparition. Après tout, sur le leur, ils avaient trouvé quatre soldats.

— Nous n’avons aucune chance de les distancer, mais nous pouvons nous battre.

Searle acquiesça :

— Si nous parvenions à les prendre d’abordage et à les mettre hors de combat avant qu’ils aient eu le temps de pointer leur pierrier, nous devrions nous en tirer – il frissonna. Je ne suis pas décidé à me laisser faire prisonnier comme cela !

Hoblin fit la grimace lorsqu’un pâle rayon de soleil vint frapper les voiles comme pour les trahir aux yeux de leurs ennemis.

— Quand on a besoin de soleil, on a de la pluie ! Maintenant, c’est le contraire, quelle peste !

Searle s’humecta les lèvres.

— Ils vont bientôt être à portée de voix – et, sans lever les yeux : Monsieur Stirling, lorsque j’en donnerai l’ordre, descendez de là-haut à toute vitesse ! Caporal Coote, tireurs parés !

Des bruits de bottes dans la cale, puis Browne entendit claquer les équipements : les fusiliers se préparaient. C’est encore cela qu’ils savaient le mieux faire, quelle que fût la situation. Browne cria :

— Après ça, caporal, vous pourrez boire tout le vin que vous voudrez !

Quelqu’un réussit même à rire.

— Ils rentrent la toile, commandant.

Browne aperçut à bord de l’autre bateau les hommes qui ferlaient les voiles tandis que l’un des soldats s’approchait du canon. L’homme avait l’air très détendu ; l’un de ses camarades fumait la pipe tout en regardant les pêcheurs obéir et rentrer la toile.

— Ils nous hèlent ! fit Hoblin – on aurait cru qu’il parlait entre ses dents. Paré, commandant ?

Searle jeta un coup d’œil à Browne, puis aboya :

— Parés, les gars !

Il vit l’ombre du bateau grandir sur la mer, ils approchaient encore, l’incertitude augmentait, l’eau faisait comme une flèche coincée entre les deux coques.

— Envoyez ! La barre dessous !

Le bateau fit une embardée sous cette poussée inattendue ; les marins coururent aussitôt pour réduire la voilure, mais les deux coques se heurtèrent, s’éloignèrent, revinrent l’une sur l’autre.

L’aspirant Stirling dégringola sur le pont et manqua se faire coincer entre les deux bateaux. A la barre, Hoblin manœuvrait pour bloquer son étrave dans le pavois de l’autre.

Le caporal Coote cria :

— Parés ! Visez ! – les quatre mousquets se levèrent comme des lances. Feu !

Sur l’autre pont, quatre hommes, dont deux soldats, tombèrent sur place. Le coup du pierrier partit dans une grande explosion, mais le servant qui tenait le tire-feu était mort lui aussi et la charge de mitraille partit en l’air sans faire de dégâts.

Les deux bateaux étaient maintenus crochés par des grappins. Criant comme de beaux diables, une poignée d’hommes fonça à l’abordage et sauta sur le pont du français. Les haches et les coutelas laissaient des taches écarlates sur le gréement et les palans.

Searle criait comme un sauvage :

— Laissez-le partir ! Revenez à bord, et vivement, espèces d’imbéciles !

Il avait vu Hoblin qui lui faisait des signes frénétiques et les autres laissèrent là les soldats morts ainsi que les pêcheurs terrorisés : une haute pyramide de toile émergeait de la pluie comme quelque terrible aileron dorsal.

— On s’en va ! Les voiles !

Searle tira un marin par-dessus le pavois tandis que les deux coques se détachaient l’une de l’autre.

Browne assistait à cette manœuvre désespérée, où l’enthousiasme laissait place à la panique. Sans cette rencontre inattendue avec l’autre pêcheur et ses soldats, ils se seraient échappés sans avoir été repérés.

Il se retourna pour regarder ce qui se passait par le travers, tandis que le bateau plongeait dans les lames et mettait le cap sur la haute mer. Le tout n’avait duré que quelques minutes, il n’en faudrait pas plus pour que tout fût dit.

Leur poursuivant vira de bord avec aisance, toutes vergues brassées à la fois et se lança derrière sa proie.

— Une corvette française, fit Hoblin, j’en ai vu des tas par ici.

Il disait cela sur un ton très détaché, avec l’intérêt d’un professionnel, comme s’il savait que leur situation était désespérée.

Les autres bateaux de pêche s’étaient éparpillés dans le plus grand désordre, tels des spectateurs s’éloignant à la hâte d’un taureau furieux.

Browne déboutonna sa tunique d’emprunt et la jeta par-dessus bord. Cela ne faisait guère de différence, mais il se sentait plus à son aise. Il entendit Stirling parler tout seul. Disait-il une prière, essayait-il de se donner du courage, il n’en savait rien.

— Dans combien de temps ?

— Trente minutes, répondit Searle avec le plus grand calme. Son commandant va essayer de passer sur notre avant. Il y a quelques récifs sous son vent, il va chercher de l’eau pour avoir la place de procéder à l’exécution !

Il s’exprimait sans colère ni amertume.

Le bâtiment de guerre français était petit et très manœuvrant. Du pont d’un pêcheur, il semblait aussi imposant qu’une frégate. Il avait établi tellement de toile que Browne eut l’impression que leur propre bateau était immobile. Au fur et à mesure que la distance tombait, il songeait à Bolitho, attendant des nouvelles qu’il ne pouvait lui communiquer.

Il ferma les yeux en voyant une flamme jaillir de la dunette du français. Puis le bruit du départ et un sifflement abrégé lorsque le boulet toucha l’eau à tribord avant de faire quelques ricochets sur les vagues comme un jouet devenu fou.

— Trop court, monsieur.

— Venez deux quarts sur tribord, ordonna immédiatement Searle.

Le bateau de pêche répondait lentement et, lorsque le second boulet arriva, sa gerbe dégoulina en cascade à travers le pont.

Le caporal Coote s’étendit sur le pont et essaya de pointer son mousquet sur leur poursuivant. Puis il lâcha, dégoûté :

— Pas moyen. J’vais attendre encore un peu, j’pourrai p’t-êt’m’en faire une paire.

L’aspirant Stirling mit ses poings devant sa bouche quand le troisième boulet troua la grand-voile avant d’aller soulever une gerbe une encablure plus loin.

— Il essaye de nous démâter, commenta Searle. Il veut nous prendre vivants – il dégaina son sabre. En tout cas, pas moi.

On ne pouvait pas jouer à ce petit jeu bien longtemps. La terre et les autres pêcheurs s’estompaient dans le lointain derrière la corvette dont le commandant devait commencer à trouver que la chose avait décidément trop duré.

Il infléchit sa route de plusieurs quarts sur bâbord afin de démasquer trois sabords. Avant de revenir à son cap initial, chaque pièce lâcha un coup soigneusement pointé et un boulet s’écrasa sur le tableau du bateau de pêche avec la force du choc contre un récif.

Hoblin bondit sur ses pieds en hurlant :

— La barre répond toujours, commandant !

Browne entendait l’eau gargouiller et pénétrer dans la cale. C’était pure folie, pathétique et exaltante à la fois.

— Gardez le même cap, fit brièvement Searle.

Boum. Un nouveau coup de la pièce de chasse vint heurter le bateau en semant la dévastation. Un fusilier qui s’était porté à l’avant pour aider les marins à se dépêtrer du foc pivota comme une toupie, une jambe arrachée, avant que le même coup aille tuer deux des marins qui furent écrabouillés et réduits en lambeaux sanglants. Des éclis de bois volaient dans tous les sens, la coque était tellement enfoncée dans l’eau que c’était miracle s’ils pouvaient encore faire route.

Effondré, Browne regardait le fusilier agoniser. Ils allaient tous se faire massacrer comme des bêtes. Mais dans quel but ? A quoi cela allait-il servir ?

Une nouvelle gerbe vint frapper de plein fouet le pavois, l’aspirant Stirling vacilla et porta la main à son bras dans lequel un éclis de bois effilé était fiché comme une quille.

— Ça va, monsieur ! cria-t-il.

Puis il porta son regard sur le sang qui coulait et s’évanouit.

— Je ne peux pas les laisser mourir comme cela ! fit Browne en s’adressant à Searle.

Le caporal Coote arrivait courbé en deux et vint les rejoindre à l’arrière. Il essayait de viser dans la direction du dernier départ à travers la fumée.

— P’têt’qu’y en aura pas besoin, m’sieur !

Browne se retourna pour regarder. Il ne pouvait y croire, la corvette virait de bord, entourée par les volutes de sa propre fumée.

— Mais c’est la Phalarope !

Nul ne disait mot, même le fusilier moribond se taisait en regardant le ciel et en attendant que sa souffrance s’apaisât.

Avec sa figure de proue dorée qui brillait sous les faibles rayons du soleil, la vieille frégate était en train de réduire la toile. Les gabiers étaient alignés le long des vergues comme des oiseaux sur leur perchoir tandis que le bâtiment se dirigeait vers la terre et ce bateau en train de sombrer.

Hoblin s’exclama soudain :

— Seigneur, il prend un sacré risque ! Si les Grenouilles sortent maintenant…

— Ne vous en faites pas, répliqua Browne qui, accroupi, tirait l’aspirant à ses pieds. Paré à évacuer, aidez donc les blessés.

C’était impossible.

Une voix résonna en écho sur l’eau :

— Nous allons vous accoster.

Browne vit les vergues de la frégate danser au-dessus de lui, le pont prenait de plus en plus de gîte sous la pression de l’air comme elle venait dans le lit du vent. Le temps pressait.

Le caporal Coote ramassa en passant un mousquet tombé sur le pont et se tourna vers le fusilier qui avait perdu sa jambe.

— T’en auras plus besoin, l’ami – et, se détournant du fusilier mort qui gisait, les yeux révulsés : Parés, les gars !

La Phalarope les dominait de toute sa hauteur, des visages se montraient sur le passavant puis réapparaissaient entre les bossoirs ou par les sabords, partout où l’on pouvait hisser un homme à bord.

La suite ne fut que le prolongement de ce cauchemar. Des cris d’épouvante, les éclis qui volaient, le fracas des espars qui tombaient tandis que la frégate s’appuyait sur le bateau qui prenait de la bande.

Browne aperçut Searle qui lui faisait des signes au milieu d’un groupe de marins et, à sa grande surprise, le vit qui riait à moitié. Il lui cria, dans un demi-sanglot :

— Je suis le dernier ! C’est mon dernier commandement, j’imagine ?

Puis Browne sentit qu’on le tirait par-dessus des objets durs et anguleux, avant de se retrouver sur le pont, face contre les planches. Une ombre passa sur ses yeux, il vit Pascœ qui le regardait. Browne réussit à articuler :

— Comment avez-vous réussi à arriver ici ?

— C’est mon oncle qui s’en est occupé, répondit Pascœ avec un sourire attristé.

Browne laissa sa tête retomber sur le pont et ferma les yeux.

— Il est fou !

— Vous ne le saviez pas ? répondit Pascœ en appelant quelques marins, c’est de famille.

 

Victoire oblige
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